Lackpathia Mohansing dit « Maï » arrivée v.1880 née en Inde -v.1856-
Lackpathia Mohansing était une cultivatrice Indienne provenant probablement du Nord de l’Inde. Elle était connue de tous sous le surnom de « Maï » (maman). Elle n’était pas grande, elle était fine et était très claire de peau. Elle ne mâchait pas ses mots, elle s’affirmait, elle avait un fort caractère. Cette femme shakti a vécu beaucoup d’afflictions dans sa vie. Elle était très généreuse. Son nom « Mohansing » pouvait s’écrire en attaché « Mohansing » ou en deux patronymes « Mohan Sing ». Elle a partagé sa vie avec son compagnon Parshad Nidhé (Palrshad Nidhi) avec qui elle a eu au moins deux enfants. Dans les registres d’états civils de la commune de Saint-François de 1880 à 1907, nous n’avons pas réussi à trouver les extraits de décès de Parshad Nidhi et de Lackpathia Mohansing, nous n’avons pas retrouvé leurs numéros de matricules, seuls éléments pouvant nous permettre d’identifier approximativement leurs années d’arrivée dans la colonie de la Guadeloupe.
A son arrivée, elle a été domiciliée à Saint-François, au hameau « Fonds Caraïbes », une propriété rattachée à l’usine de Saint-François dont le propriétaire était à l’époque Louis François Amédée Pauvert qui était également le Maire de ladite commune jusqu’en 1907.
Lackpathia Mohansing est née probablement en 1856. Elle a eu quatre ou cinq enfants dont deux morts en bas âges. Elle est arrivée en Guadeloupe probablement avant 1880. Malheureusement aucun numéro de matricule n’est porté sur les actes de naissance, ni sur les actes de décès de ses enfants. C’est au hameau “Fond Caraïbes” qu’elle a donné naissance à quatre de ses enfants.

1.Présentation des enfants de Lackpathia Mohansing.
En 1883, le 22 du mois d’octobre à cinq heures dans la commune de Saint-François, le décès de deux jumeaux est déclaré par le premier adjoint Marius Petit. La déclaration est faite par deux voisins de la mère des enfants : Fernon (âgé de 58 ans) et Loprin (âgé de 35 ans). La mère a donné naissance à deux enfants jumeaux sans vie de sexe masculin. Les deux petits garçons sont nés de la maman Lackpathia Mohan Sing âgée de 27 ans, cultivatrice domiciliée à Saint-François et attachée à l’habitation “Fonds Caraïbes”. Ils sont sortis du sein de leurs mère, l’un à minuit et l’autre le lendemain à onze heures du matin.
Les deux bébés ne sont pas forcément nés à Saint-François, mais ils y sont morts en l’espace d’une soirée. Le lieu de naissance n’est pas porté sur l’acte de décès. C’est la seconde difficulté vécue par Lackpathia, la première étant le voyage de l’Inde à la Guadeloupe.

En 1886, trois ans après ce drame, alors qu’elle est âgée de 30 ans, elle a mis au monde son fils Souléca Parshad dans sa « case » située à Saint-François. Il a été déclaré le « 29 du mois de mars 1886 à 9 heures du matin par Alexandre Benoit. C’était son père Parshad Nidhé, âgé de trente-deux ans, Cultivateur Indien, domicilié à Saint-François aux hameaux Fonds Caraïbes qui est comparu pour déclarer la naissance de son fils devant l’officier de l’état civil de la commune de Saint-François. Son fils est né le lundi 22 mars à onze heures du soir. » Les deux témoins qui ont accompagné le père sont encore Fernon et Loprin.

Il semble selon les chroniques familiales, que Souléca Parshad ait eu un frère ainé nommé Bissessal, mort et enterré dans la commune du Moule. Nous recherchons encore la déclaration de naissance de Bissessal Parshad.
En 1889, dans la commune de Saint-François, le petit Raminsar fils naturel de Lackpathia Mohan Sing est né. Il est déclaré le 8 du mois de mai à 8h du matin. Sa mère est âgée de 35 ans. Elle vit toujours à l’habitation Fonds Caraïbes. Elle est toujours cultivatrice. Raminsar a vu le jour le premier mai à sept heures du matin dans sa case.
L’âge de Lackpathia marque une incompréhension, alors que sur l’acte de naissance de Souléca il est noté qu’elle est âgée de 30 ans en 1886, il est notifié sur celui de Raminsar qu’elle est âgée de 35 ans en 1889. Ce sont toujours les mêmes témoins qui l’accompagnent pour déclarer les décés et les naissances de ses 4 quatre enfants Fernon et Loprin. Un autre élément est questionnant au moment de la naissance de Raminsar, le nom de son père n’est pas figuré sur l’acte de naissance.

2. Le mythe de la naissance de Souléca Parshad.
En 2011, nous avons enregistré le témoignage de madame Narayanan Millionnette, nom de jeune-fille Parshad. La petite fille de Lakshpathia est née le 10 janvier 1934 dans la commune de Saint-François à la Loyette dans une propriété privée. Elle a très peu connu sa grand-mère paternelle. Elle nous a confié que son père Souléca Parshad était le fils de deux immigrants indiens. Son père portait son nom hindi tatoué sur son bras gauche. Selon sa fille, il aurait été déclaré en 1887, dans la commune du Moule comme natif du mois de mars 1886. Cependant, nous avons retrouvé son extrait de naissance dans les registres de la commune de Saint-François. Le mystère persiste sur cette naissance d’autant que parfois les âges pouvaient ne pas correspondre. Lakshpathia à 27 ans en 1883, 30 ans en 1886 alors que pour l’année 1889 on lui a donné l’âge de 35 ans.
Le registre d’état civil de Souléca Parshad est intrigant car sa naissance est différente de celle racontée par la fille de Souléca Parshad : Millionnette Narayanan née Parshad, témoignage qu’elle tient de son père. Selon elle, son père serait né « dans le courant du mois de mars 1886 » sur un bateau de l’immigration indienne. Or sur la déclaration de naissance de Souléca Parshad est faite le 29 du mois de mars 1886.

Il semble selon madame Narayanan que Souléca Parshad a eu un frère ainé nommé Bissessal, mort et enterré dans la commune du Moule. Notre hypothèse est que c’est peut-être le frère ainé de Souléca qui soit né sur un trois-mât de l’immigration indienne. Bissessal était plus grand que Souléca et il est mort jeune. Madame Narayanan n’a pas connu son oncle. Nous recherchons encore la déclaration de naissance ou l’acte de déces de Bissessal Parshad.
Notre seconde hypothèse est que Lackpathia a peut-être accouché sur un navire de l’immigration indienne lors du voyage du Bruce de 1881 ou 1883. Il se pourrait que ce soit de Bissessal ou des jumeaux morts en bas-âges. Sur le numéro du convoi 89 une naissance est portée. Le navire Bruce était un Trois-mâts, construit en 1857 par l’armateur James Nourse faisant parti du pavillon de la Grande-Bretagne. Ce navire est parti du port de Calcutta le 14 janvier 1883, il est entré en rade le 11 avril 1883. Il a transporté 461 passagers dont 305 hommes, 122 femmes et 34 enfants. La durée totale du voyage a été de 85 jours, il a fait escale à Le Cap. Il y a eu 9 décès et une naissance à bord. Il a débarqué 453 passagers dont 300 hommes, 119 femmes et 34 enfants. Le nombre de bébé débarqué n’est pas précisé.

Dans son tableau, C.Schnakenbourg n’a « comptabilisé que les naissances en cours de route », uniquement « les enfants arrivés vivants en Guadeloupe. Ceux décédés avant l’arrivée ne sont pas comptabilisés ni dans les naissances, ni dans les décès.
Le numéro du navire 86 peut aussi être une source de confusion, peut-être que Lackpathia a mis au monde des enfants sur ce navire, et non en 1886. D’autant que les jumeaux sont morts 6 mois après que ce navire est entré en rade à Pointe-à-Pitre. Sur l’extrait d’acte de décès, il est bien précisé que les enfants ne portaient pas de nom, n’ont pas été déclarés et qu’ils étaient encore au sein de leur mère. Si elle arrive en 1883, avec deux enfants, la non déclaration immédiate de la naissance de ses enfants peut renforcer cette possibilité. Mais ce ne sont que des hypothèses.
Millionnette Narayanan née Parshad. Selon cette dernière son père serait né « dans le courant du mois de mars 1886 » sur un bateau de l’immigration indienne. Or sur la déclaration de naissance de Souléca Parshad est faite le 29 du mois de mars 1886. Son père est Parshad Nidhi. Souléca est reconnue comme son fils naturel et natif de la commune de Saint-François. A ce jour, nous n’avons pas retrouvé le numéro de matricule de Lakshpathia Mohansing. Nous ne savons pas si elle était l’épouse de Parshad Nidhé, s’ils étaient mariés. Nous ne pouvons pas affirmer qu’elle soit arrivée sur le navire BRUCE.
Melle Parshad nous a affirmé que son père est né dans le courant de 1886 dans un convoi. Dans les témoignages de Melle Parshad, l’enfance est parsemée de fragments et d’incompréhensions. La naissance de son père se situe dans les courants maritimes, parsemée parfois d’horreur cause de mortalité ou de bonheur parsemé de natalité. Le premier souffle de son père est celui d’un déplacement en pleine mer, souffle rythmé par le va et vient des vagues. Il est accompagné de pertes relatives à une marque rouge, des bribes de chants en hindi et un manque de souvenir de la terre mère : l’Inde. On ne peut pas situer le lieu de cette naissance. Elle émerge des flots. La traversée devient son non-lieu embryonnaire. Les traversées ont laissé une coulée de sang et de liquide amniotique.
- Les naissances sur les bateaux de l’immigration indienne.
Selon Christian Schnakenbourg lors des quatre-vingt-treize convois de l’immigration indienne : il y a eu cent quarante-deux naissances à bord,[1] sept cent cinquante-sept décès en route. Les naissances ne sont pas systématiques. Elles sont conséquentes (de quatre à neuf) pour les navires provenant du port de Calcutta.
Les Indiens appelaient le premier mois de la naissance un Karoushi. Melle Parshad explique : “Beaucoup de Karoushi, il est la durée de l’impureté après un accouchement. L’accouchement est un moment délicat, il est lié à la mort. Les femmes accouchaient chez elles, on enterrait le placenta. On fouillait un grand trou dans la terre pour l’y mettre. Après le retour de couche intervenant le 13e ou le 14e jour, la femme avait moins de chance de décéder ce qui mettait plus de distance avec l’accouchement. Il y avait beaucoup de Karoushi. Le 36e, 38e ou 40e jour marquait la fin du Karoushi, le nombre de jour dépend de la femme et de son état de santé. Après le 40e jour, on lui donnait un grand bain des pieds à la tête, à la mer pour la purifier. Elle était rincée avec du safran et des fleurs de vépélé. » [2], une période d’impureté, où l’enfant et sa mère se trouvaient entre la vie et la mort. Leurs enveloppes mères, celles contenant le liquide amniotique, étaient jetées à la mer au lieu d’être enterrée. Elle ajoute que « L’accouchement sur un bateau a dû être difficile. Sa mère a dû connaître beaucoup de misère. Les premiers mois sur un navire, les images et les sonorités de la mer, les cris, l’effroi, les mortalités. La durée change la souffrance. La naissance de mon père n’était pas une exception. Sur chaque navire il y avait un médecin. »[3]
Le coolie ship est un moyen de passage. Tout y est éphémère et changeable. Les émigrants se confondent d’un navire à l’autre. Les premières images des enfants de Lackpathia sont celles d’un entassement, d’un inconfort, de la promiscuité de personnes en plein océan à bord d’un voilier ou d’un trois-mâts de la Coolie Trade. Sa mère le portait depuis six ou sept mois avant l’embarquement. Il était un fœtus, il sentait l’arrachement à l’Inde. Quand cette dame quitta le port de Calcutta dans les années 1880, elle ne pouvait pas imaginer mettre son fils au monde durant la traversée, ne pensait pas souffrir pendant trois mois, ne pensait pas vivre dans une période d’impureté. Son fils n’a pas connu l’Inde, ni ses couleurs, ni ses parfums. Il côtoie la mort, les suicides, les épidémies, la crasse, la nourriture infâme, la tristesse, la saleté. Elle était émigrée. Elle côtoyait des corps sans âmes. Elle se sentait déracinée le long de la descente de l’Hoogly au Cap de Bonne Espérance, en passant par les Mascareignes. Elle se sentait perdue dans la remontée de Sainte-Hélène à la Guadeloupe. Le va et vient de la mer donnait un aspect transitoire, un état de latence. Les gens sont innommables. C’est un lieu de transport.
L’histoire et le passé de Lakshpathia, cette aïeule Indienne est inaccessible, sporadique et lacunaire. Les flots ont emporté son histoire. Madame Narayanan disait d’elle qu’elle avait été marquée par l’histoire coloniale. Elle n’avait pas un caractère facile, elle était parfois jugée comme une « femme méchante », « dur » mais « courageuse ». Lakshpathia était courageuse, battante.
Les historiens ont fait très peu état des déclarations de naissances à bord dans la colonie de la Guadeloupe, ces naissances sont répertoriées dans les rapports de navire, mais on ne sait pas exactement où elles ont été déclarés dans les états civils, sous quelle rubrique “présentation des enfants sans vie”, “reconnaissance d’un enfant”. Les historiens se sont se concentrer sur les conditions de navigation, la vie à bord, les décès et des aspects médicaux. Toutefois, C.Schnakenbourg note un effet de l’immatriculation, le numéro de matricule devient un marqueur juridique et social. L’enfant né à bord possédait-il un numéro de matricule? Cette problématique ouvre sur un chantier car le mystère de naissance sur les trois-mâts laisse une empreinte dans l’héritage collection des indo-guadeloupéen, un mythe.
Ce numéro de matricule est inscrit sur les registres. Il est « conçu par l’administration comme un véritable élément constitutif de leur état-civil, qui contribue à définir à titre principal leur indentité. Que ce soit devant la justice, dans ses rapports avec l’administration, dans l’acte de naissance de ses enfants ou dans son acte de décès, l’immigrant n’est jamais désigné seulement par son nom et l’indication de sa filiation, mais d’abord par son numéro de matricule. Malheureusement concernant Lackpathia Mohan Sing et Parshad Nidhé, les numéros de matricule ne sont pas notifiés.
4. Présence du patronyme Mohansing révélateur des violences saint-franciscaines.
Un dernier mystère persiste, nous avons retrouvé le patronyme Mohansing dans la commune de Port-Louis. Notre troisième hypothèse est qu’il s’agit probablement du frère de Lakshpathia. Il est mort en 1903 âgé de 53 ans. Il était célibataire sans enfant. Il est mort le 24 décembre 1903 à l’habitation de Bétin dans la commune de Port-Louis. Il était le fils de Mahoroup.

Son numéro de matricule était le 36 976. A partir de son numéro de matricule nous pouvons situer son arrivée dans les années 1881 sur le navire le Bruce en provenance de Calcutta. Ce navire est entrée en rade à Pointe-à-Pitre le 12 mars 1881.

Le nom Mohansing est apparu dans les registres des Condamnés au bagne de 1828 à 1918.
Mohansing fils de Gaubasing, âgé de 25 ans, né à Calcutta dans le département de l’Inde anglaise, cultivateur de profession est condamné le 17 mai 1886 à la peine de mort pour tentative d’assassinat et assassinat. Finalement, il est condamné à des travaux forcés à perpétuité le 25 novembre 1886 et envoyé au bagne. Il résidait à Saint-François et est envoyé en Guyane Française. Il meurt en 1890. Son numéro de matricule est le 21 753.

Mohansing fils de débydass est également envoyé en Guyane Française. Il est né en 1869, a porté le numéro de matricule 25640. Il vient également de Calcutta et était domicilié à Saint-François en Guadeloiupe. Il est condamné le 23 juillet 1892 à des travaux forcés à perpétuité.

La commune de Saint-François est administrée par la famille Pauvert : Amédée est le propriétaire de l’usine Sainte-Marie mais également le maire de la commune jusqu’en 1907. Cette famille possède une grande influence tant en économie qu’en politique. Mais selon C.Schnakenbourg, « dans un rapport rendu par le commissaire à l’immigration au directeur de l’Intérieur, datant du 5 décembre 1854, 5 janvier et 6 février 1855, qui fait état de diverses difficultés survenues sur l’habitation-sucrerie Sainte-Marthe, à Saint-François, dont le propriétaire Pauvert est l’un des plus durs et des plus brutaux avec ses ouvriers agricoles, notamment immigrés. (C.Schnakenbourg, 2014).
Portrait n°53 par Minakshi Carien
D’après les ANOM des communes de Saint-François.
D’après les témoignages de Millionnette Parshad Narayanan et sa fille Lydia Narayanan.
D’après la thèse en Histoire de Christian Schnakenbourg L’immigration indienne en Guadeloupe (1848-1923).
[1]C.Schnakenbourg, L’immigration indienne en Guadeloupe (1848-1923), Histoire d’un flux migratoire, Thèse pour le doctorat en Histoire Contemporaine de l’Université de Provence (Aix-Marseille), UFR Civilisation et humanité, préparée dans la formation doctorale “Espace, Cultures, Sociétés” sous la direction du Professeur Philippe MIOCHE, Présentée et soutenue publiquement le 2 Avril 2005, en 6 volumes, disponible à la bibliothèque inter université de la Sorbonne, Salle Michelet, pp.542-573.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Minakshi Carien (5 avril 2023). Lackpathia Mohansing dit « Maï » arrivée v.1880 née en Inde -v.1856-. Projet çak. Consulté le 10 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/t1bq